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sommetinternationaldujeudemontreal2007_003.jpgDans le cadre du Sommet International du Jeu de Montréal 2007, nous publions une série d'articles résumant le propos des conférences auxquelles nous avons assisté.

Jonathan Blow, A2M — Réinitialisation de la conception

Pour nous, la grosse (et bonne) surprise de la journée, c'est la conférence de Jonathan, qui a expliqué en une bonne heure, avec un peu d'humour, en quoi les jeux vidéo d'aujourd'hui ne répondent plus aux besoins des joueurs.


Pour débuter, il cite Danny Radoicic du New York Times, en septembre dernier, qui écrivait dans son test de Halo 3 :
« la formule suive par la plupart des jeux est une progression dirigée vers la victoire. Tu accomplis des tâches jusqu'à ce que tu gagnes.

Comme le cinéma, les jeux devront adopter la structure de l'échec, de la tragédie, de la comédie et du romantisme. Ils devront cesser de s'occuper du besoin de puissance du joueur en faveur de l'amélioration de sa vie émotionnelle et intellectuelle.

Les premières 30 années du cinéma, de 1895 à 1930 font naître une quantité de films acclamés pour leur innovation technique. Les décennies suivantes, le cinéma devint pour la première fois cette forme d'art que l'on connaît aujourd'hui. Alors qu'il vient à maturité, les films acquièrent le pouvoir de divertir et de transformer.

Les jeux vidéo sont condamnés à entrer de façon similaire dans l'âge d'or. Cependant, la première étape N'EST PAS Halo 3. »
Jonathan s'est surpris à penser la même chose ces derniers temps. Bien qu'il ne puisse pas faire la même analogie avec le cinéma, il ne ressent pas, lui non plus, beaucoup de satisfaction avec les jeux aujourd'hui.

Il termine en ce moment un projet, et doit décider de ce qu'il fera des trois prochaines années de sa vie. Il se rend compte que des jeux sur lesquels il aurait été excité de travailler il y a cinq ans ne l'intéressent plus du tout aujourd'hui, ils ne sont pas assez bons. Il cherche des concepts qui vaudraient trois années de sa vie, et essaie de briser ce qu'il perçoit comme un corps plein d'idées préconçues héritées de dizaines d'années et de centaines de jeux auxquels il a joué, qui renforcent encore et encore cette tradition de l'industrie du jeu vidéo.

sommetinternationaldujeudemontreal2007_011.jpgDans cet exposé, il essaie donc de nous présenter sa façon d'analyser la problématique : un jeu nous plonge dans un univers définissant plusieurs éléments, dont un certain nombre de règles, et un but à atteindre pour gagner. Lorsqu'on commence un jeu, on ne connaît pas encore les règles, mais en y jouant, on apprend ces règles et comment jouer. Le joueur construit un modèle mental de ce fonctionnement. C'est avec le retour sur nos actions que le jeu est en mesure de nous dicter comment faire, où aller, pour mener le joueur à la victoire. Par exemple, dans Super Mario Brothers, il sait qu'il peut tuer les monstres en leur sautant sur la tête, que le petit carré avec un point d'interrogation donne un bonus, qu'il peut assommer les tortues et lancer leur carapace, etc. Donc, en jouant à Mario, il a appris beaucoup de choses qu'une personne n'y ayant jamais joué ne sait pas.

Tous les jeux sont actifs sur le plan de l'apprentissage. Ils peuvent nous apprendre des règles simples, telles que sauter sur la tête d'un monstre pour le tuer, ou, de façon moins évidente, les stratégies à employer pour avancer dans le jeu. Par exemple, qu'il faut regarder avant de sauter (pour, par exemple, ne pas tomber dans un vide, sur un piège, ou autre). Maintenant qu'on a défini ce qu'est un jeu, il faut se demander ce que peut nous apporter un jeu, pourquoi je jouerais à ce jeu, qu'est-ce que ça va me donner en retour ? Pourquoi joue-t-on à des jeux ? Une des réponses évidentes, est que les jeux peuvent fournir du divertissement, de la fantaisie, et permettent de s'évader, d'oublier le stress du quotidien. Hors, pour lui, le jeu vidéo, c'est plus que ça.

À la fin de la journée, il souhaite ressentir que sa vie a un sens. Et c'est impossible en s'échappant tous les jours dans des jeux. Il pense que beaucoup d'autres personnes sont insatisfaites par ça, et le sujet de discussion est peu abordé au sein de l'industrie. Il aimerait que ça se fasse davantage.

Il reproche à l'industrie du jeu de construire des jeux dont l'intérêt repose sur des systèmes de récompenses addictifs qu'il compare aux drogues, pour lesquels le joueur développe souvent une dépendance, à l'inverse du plaisir de jouer. Quelques exemples : les points d'expérience, les items, les éléments à collectionner, les contenu (niveaux, personnages, armes, artworks, etc) débloquables, les trésors, les boss, les arbres d'attributs/compétences, etc.

sommetinternationaldujeudemontreal2007_015.jpgIl accuse les concepteurs d'employer ces méthodes faciles pour accomplir ce qui pourrait être fait en mieux et en plus sain, en utilisant le gameplay et le plaisir des défis.

Toujours selon lui, il est possible de nourrir le jeu d'éléments plus sains. Il prend l'exemple de Portal et son système de portails-casses-têtes, qui apportent une réelle satisfaction, lorsque résolus. D'une certaine façon, dit-il, le cerveau se récompense lui-même d'avoir résolu le problème auquel il a été confronté, à l'inverse d'un système artificiel de récompense.

Il donne aussi des exemples de mécaniques de jeux intéressantes :
  • Un vieux jeu de tank dans une arène entourée de 4 portes en vue satellite. De chacune de ces portes, lorsqu'elles sont ouvertes, surgissent des ennemis. L'ouverture des portes n'est pas synchronisée. L'astuce : on ne peut que voir si les 3 portes du haut son ouvertes. La porte du bas, quant à elle, peut être fermée ou ouverte, impossible de le dire : ceci crée, il explique, une zone à risque dans la portion du bas de l'écran, et on le sait instinctivement. Ironiquement, de temps en temps, des bonus apparaissent vis-à-vis de ladite porte : c'est un dilemme : courir le risque de prendre le bonus, ou ne pas prendre de risque et rater le bonus.
  • Dans Pacman, vous le savez, il y a le Pacman, que le joueur contrôle, et 4 fantômes qui pourchassent Pacman. Le joueur se fait pourchasser par les fantômes, sauf lorsqu'il « consomme » une des quatre pilules de puissance situées dans un des coins, qui permettent de manger les fantômes pendant une courte période de temps, donnant ainsi la chance de terminer le niveau. Le seul moyen de savoir que la pilule fait encore effet, dans la version originale, c'est le clignotement des fantômes : si le joueur les mange tous, il ne sait plus à quel moment les fantômes mangés réapparaitront, avec le danger que cela implique.
Jonathan invite les concepteurs à se rendre compte que leurs propres jeux possèdent probablement de tels mécanismes. Dans un contexte de jeu réaliste scénarisé, ce sont souvent des éléments de gameplay qui seront « corrigés » ou supprimés, mais il incite, ne serait-ce que pendant une courte minute, de les considérer, avant de les effacer pour de bon. L'évolution du jeu vidéo pourrait bien se faire en fonction de ce genre de petits détails selon Jonathan, ce qui ferait une grande différence dans les jeux de demain.

sommetinternationaldujeudemontreal2007_013.jpgMais le moment fort de la conférence, c'est lorsqu'il a parlé de World of WarCraft : devant un bon millier de professionnels du milieu, il a comparé la cigarette, la malbouffe, et, ... World of WarCraft. Oui, vous avez bien lu. Il n'y est d'ailleurs pas allé de main morte : il reproche à WOW de ne présenter aucun défi intellectuel et de le faire à des fins économiques : il explique qu'un des facteurs d'abandons premiers dans les jeux, c'est la difficulté. Hors, toujours selon lui, World of WarCraft ne présente tout bonnement aucune difficulté. L'équation se résume donc à garder le plus de joueurs le plus longtemps possible, et d'additionner les paiements mensuels.

Il appelle de la responsabilité de l'industrie du jeu vidéo de prendre conscience de l'influence qu'elle a sur la jeune génération. Jonathan ne dit pas que le joueur de WOW/fumeur/mangeur de malbouffe occasionnel court un danger, mais critique le fait qu'en vendant de la malbouffe, World of WarCraft et des cigarettes à grande échelle, sachant pertinemment qu'au sein de la population il existe une bonne part d'individus qui en abusent, que les sociétés concernées mettent en péril la vie et la santé de beaucoup de gens. Il dit avoir honte pour les dirigeants responsables de la vente de tels produits, et que ces antimodèles ne devraient donc pas être imités, bien au contraire. Quant on sait qu'avec le succès de WOW, la plupart des gros studios de jeux développent actuellement des MMOs, ça fait effectivement réfléchir !

sommetinternationaldujeudemontreal2007_012.jpgPour appuyer ces propos très négatifs à l'égard de ses propres collègues, il explique que les activités de tous les jours influencent notre parcours de vie : pratiquer un emploi répétitif et peu gratifiant est ainsi, d'après lui, enclin à produire des gens plus aptes à accrocher à des jeux qui reproduisent le même modèle, et inversement.

L'utopie de BioShock : alors que Jonathan introduit BioShock, au cas où quelqu'un n'y aurait pas joué, il explique qu'on y retrouve deux personnages qui se baladent comme des inséparables : le Big Daddy et la Petite Sœur. Le premier est un bonhomme très protecteur, tout en armure à scaphandre, qui ne vous créera pas trop d'ennuis à condition de ne pas déranger son amie. Quant à elle, elle possède un sérum spécial nommé l'Adam, qui permet de gagner des pouvoirs (un pouvoir coûte 80 points d'Adam). Après avoir mis à mort le Big Daddy, le joueur a donc la possibilité de libérer la jeune fille et récolter 80 points d'Adam, ou de la tuer et de récupérer 160 points d'Adam, de quoi acheter un espace supplémentaire à pouvoir, et des points en plus pour un éventuel nouveau pouvoir (ou carrément pour 2 pouvoirs).

sommetinternationaldujeudemontreal2007_014.jpgLaisser ce choix entre les mains du joueur n'est pas innocent : 2K introduit le facteur moral : faire le bien ou le mal ? C'est intéressant selon le conférencier, mais absurde dans un contexte immoral où tous les êtres vivants rencontrés doivent être abattus (sauf rare exception). Faire naitre une prise de conscience morale au sein d'un monde immoral est utopique. Et malheureusement, il semble que l'on ne puisse pas voir de grande différence de difficulté suivant le choix réalisé durant toute la campagne solo. La seule vraie différence se limite à la cinématique de fin.

Si le personnage ou ses propos vous intéressent, n'hésitez pas à consulter sa nouvelle faisant suite à sa conférence, et encore mieux, mettant en lien un fichier zip contenant l'intégrale de la conférence en MP3 avec sa présentation PowerPoint. Je vous promets, c'est précieux, ça vaut le détour, puisque je n'ai malheureusement pas eu le temps de tout retranscrire ici, et que j'ai probablement sauté des passages qui pourraient vous intéresser.
par Zork Commenter
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