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brink_004.jpgBethesda Softworks vient de nous faire parvenir le nouveau carnet de développement de Brink, un FPS immersif qui concentre la jouabilité du jeu en solo, en coopération ou en multijoueur en une seule expérience fluide, vous permettant de développer le même personnage à travers tous les modes de jeu. Ce dev diary est entièrement rédigé par Ed Stern (et traduit en français), Senior Game Designer sur Brink.

La Ligne directrice

brink_003.jpgChez Splash Damage, nous croyons que l'environnement même du jeu est notre meilleur média narratif. Les environnements de qualité permettent au joueur de tirer des informations du décor sans être forcé de subir l'intervention harassante d'un PNJ, venu l’informer sur la Grande Histoire. Nous savions que nous voulions nous servir des différents environnements de notre jeu pour raconter notre récit. Il fallait donc qu’ils soient truffés de détails.
Nous avons donc créé un concept que nous avons baptisé Contexte instantané/absolu. En gros, nous cherchions à nous en tenir au vieil axiome "Montrer plutôt qu'expliquer". Le CIA implique par conséquent que le joueur comprenne immédiatement, et de façon intuitive, les différents éléments du jeu auxquels il est confronté (voilà pour la partie "Instantanée"). Et plus il les examine, plus il saisit l’accumulation narrative, pour finalement saisir la logique interne et la genèse du titre (voilà pour la partie "Absolue").
Alors, comment avons-nous créé le récit et l'environnement de Brink ?

Le Problème

brink_002.jpgAu début, nous n’avions qu’une page blanche (oui... bon... c’était un dessous-de-verre, et alors ?). Nous savions déjà que l'environnement de notre prochain jeu allait devoir accomplir plusieurs choses : le titre devait se dérouler dans un lieu inconnu du joueur et lui proposer quelque chose qu'il n'avait encore jamais vu. Nous voulions que ce décor puisse inspirer nos graphistes pour les personnages et les environnements, aussi bien que les concepteurs de niveaux, afin de suggérer une carte à la hauteur de nos ambitions et des idées d'objectifs. Il nous fallait en outre un scénario susceptible de captiver le joueur, dans un décor qu'il ne pourrait quitter, sans pour autant négliger les contrastes.
Nous allions élaborer un jeu de tir, nous voulions éviter de le situer trop loin dans le passé (mêlée et magie) ou dans le futur (lasers, assimilables à de la magie à distance).
Où pouvions-nous l'installer et biffer toutes nos cases narratives et conceptuelles ?

Une Solution saline

brink_001.jpgAprès une lecture approfondie de l’excellent site bldblog sur l’architecture/futurisme/infrastructure – après avoir appris l’existence et admiré les tours de science-fiction de l’hôtel Burj Al Arab, l’Initiative Masdar, les constructions de Santiago Calatrava, le visionnaire (et malheureusement inachevé) Arcosanti de Paolo Soleri, l’Oceana et la Shimizu Pyramid de Patrick Salsbury – il devint évident qu’une cité insulaire issue d'un éco-projet allait pouvoir nous offrir tout ce que nous désirions. Nous allions nous inspirer des préoccupations du mouvement zeitgeist, tout en nous en écartant suffisamment dans le temps et l’espace. L’architecture géométrique du lieu collait parfaitement au gameplay. Elle disposait de son histoire propre et proposait un théâtre propice au développement de notre récit.
Ce n’est qu'après avoir vu les fausses coupures de presses et les prospectus de nos investisseurs pour notre projet Ark que je me suis souvenu de mon arrivée à Spash Damage en 2002 : Paul avait dit qu'un jour qu'il aimerait un jour créer un jeu autour de l'Arkologie. De mon côté, j'étais plongé dans les articles et les photos sur la Seconde Guerre Mondiale pour Wolfenstein: Enemy Territory, et ça m’est passé au-dessus. Est-il utile de préciser que je vois parfaitement de quoi il parlait aujourd'hui.

Construction de l’Arche

brink_002.jpgNous avons donc lancé le processus, développant le scénario et élaborant des concepts pour une éco-cité baptisée, naturellement, l’Arche. Dans l'univers de Brink, un groupe d'éco-visionnaires et de capitalistes endurcis entreprennent de bâtir une plate-forme d’essai, un habitat flottant destiné à promouvoir et à étudier un développement durable - une base sans carbone, sans pétrole pour les cités du futur.
Entouré d’une barrière protectrice contre la houle, l’Arche est une réserve écologique de luxe, doublée d’un laboratoire flottant de recherche et de développement, produisant des matériaux et des technologies nouvelles telles que l’Arkorail, un matériau de construction révolutionnaire dérivé d’un corail génétiquement modifié et capable de piéger le carbone. Peuplée d’environ 5000 visionnaires, techniciens, scientifiques, ingénieurs et invités de marque, l'Arche est remorquée jusqu'à une destination secrète (aucun milliardaire n'acceptera de mettre la main à la poche pour une station de luxe que le premier quidam venu peut rejoindre). Mais dans les années 2020, alors que le niveau des océans montait et que les nations sombraient dans le chaos, des navires débordant de réfugiés aux abois prirent la mer à la recherche de l'Arche. La plupart d'entre eux épuisèrent leur eau potable et disparurent corps et biens, mais quelques-uns arrivèrent à bon port. Du jour au lendemain, l'Arche et ses habitants, qui avaient perdu contact avec le monde extérieur, durent trouver de la place pour 40000 âmes supplémentaires. Les fondateurs du lieu les baptisèrent, non sans une certaine ironie, les Invités -- comme les anciens hôtes de marque, bien que considérablement plus nombreux et bien moins apprêtés.
brink_004.jpgJ’utiliserai le niveau Container City pour illustrer notre démarche. Nous avons ébauché un résumé de ce qui n'était au début qu'un terminal entièrement automatisé et une bibliothèque sécurisée pour les habitants et les compagnies de l’Arche. Mais dans l’univers de Brink, lorsque les eaux montèrent et que les réfugiés commencèrent à déferler, l’Arche se trouva rapidement trop étriquée. Puisqu'il offrait le plus d'espace horizontal libre, le terminal servit d'abord de zone d'attente d’urgence, puis de camp temporaire, avant de finalement se transformer, en l’absence de tout contact avec le monde extérieur, en bidonville. À l'ouverture de Brink, Container City est une zone délabrée en proie à la rouille, un enchevêtrement dangereusement surpeuplé et délabré de taudis menaçant de basculer dans l'océan. Voilà le cœur du mouvement politique des Invités et la plus grande concentration de sympathisants de la Résistance. Les forces de sécurité refusent même de la survoler, sans même parler d’y patrouiller à pied.
Avec nos ébauches rédigées et des piles d’images et d'esquisses, les graphistes de l’environnement et les concepteurs de niveaux de Splash Damage s'attaquèrent à la tâche délicate de faire de cet empilement tetris-esque de conteneurs un labyrinthe foisonnant de vie, d'habitations et d'échoppes. L'arrière-plan de Brink étant si intrinsèquement lié aux développements du monde réel, il restait peu de place à l'invention. Nous pouvions extrapoler à partir de ce qui existait déjà : espars survoltés, installations ETM, éoliennes, panneaux solaires, générateurs de houle, fermes verticales, bioréacteurs, brise-lames et plus encore.

Création du conflit

brink_006.jpgÉvidemment, l’une des principales histoires que notre environnement allait raconter gravitait autour des différentes factions et de leurs attentes. Nous aurions pu opter pour Policiers héroïques vs Terroristes maléfiques ou Défenseurs de la paix vs Agents du mal, mais il nous a semblé bien plus intéressant de laisser le joueur décider de ce qui allait agiter l'Arche. Dans le monde réel, peu de gens s'accordent entièrement sur les événements en cours, sur les responsables ou les solutions à apporter. L’homme n’est pas une créature rationnelle, mais une créature qui rationnalise. Nous inventons les raisons qui nous justifient. Nous avons donc décidé de créer un monde aussi divers que le monde réel et de laisser nos factions avoir raison (du moins selon elles), afin de permettre au joueur de choisir son camp.
Quelles sont les motivations de nos factions ? Sur l’Arche, les Invités réfugiés vivent dans des taudis exigus et surpeuplés. Ils ont été accueillis par les Fondateurs de la ville, mais leur soulagement et leur gratitude se sont transformés en ressentiment et en colère au vu de leur injuste statut. C’est en grande partie leur travail qui permet à l’Arche de flotter, mais on leur impose des restrictions sur l’eau potable tandis que les Fondateurs – qui n'apportent qu’une contribution symbolique à la gestion de la cité – jouissent d’une relative prospérité. De plus en plus, les Invités en viennent à douter des Fondateurs -- a-t-on réellement perdu tout contact avec le monde extérieur ? – et l’agitation grandit pour utiliser les dernières ressources de l'Arche dans la recherche d'une solution. Certains d’entre eux s’organisent pour former une Résistance armée. À l’autre extrême, les forces de police sont contraintes de se développer pour devenir la Sécurité, qui maintient l’ordre et gère les ressources de l'Arche, pour la survie de ses habitants. La Sécurité se bat pour sauver l’Arche, la Résistance pour s'en échapper. Et à voir l’état des choses, il est facile de comprendre pourquoi chaque camp pense avoir raison.
J’espère vous avoir donné un avant-goût de ce que nous cherchons à créer avec Brink et que vous reviendrez pour le plat de résistance.
Ne manquez pas non plus le précédent journal de développement sur la direction artistique du jeu.
par utr_dragon Commenter
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